L'heure du Graal
Mes yeux que faites-vous ce soir à vous noyer
Dans les larmes? Êtes-vous désormais prêts à voir,
Par-delà l'amertume et les temps dévoyés,
Le coeur des hommes battre enfin et s'émouvoir?
Comment le roi Arthur, aux mains cent fois blessées,
Aurait-il retrouvé leur véritable usage
Sans celles de Morgane enclines à caresser
Et à rendre propice un malheureux présage?
Les onguents ont guéri la charpie de ses poings.
Il a lâché l'épée qui allait le couvrir
De sang plus que de gloire et, à son tour, pris soin
D'offrir à son royaume un rêve à accomplir.
Quelle est donc cette coupe au contenu précieux
Que l'homme a oubliée au plus loin de lui-même?
Et qu’il cherche aujourd'hui en son coeur audacieux,
À trouver à nouveau pour servir ce qu’il aime.
Le voyez-vous marcher dans l’avenue des chênes?
Solitaire émergeant des brumes d'Avalon,
Annonçant l'arrivée des déesses prochaines,
Il pose en ce moment d'invisibles jalons.
Du cœur de la légende et de la table ronde
Il vient réconcilier au seuil d'un nouvel âge
Le masculin sacré et la forme du monde
En offrant à ses fils l'amour en apanage.
La lente apparition d'imperceptibles formes
Qui se tient en retrait face à l'ignoble ampleur
Des images qu'on donne à la peur qui informe,
Me réconforte, moi, qui me désole et pleure.
Qu'y a-t-il d'héroïque à n'avoir que la lance
Ou l'épée en réponse à la moindre invective?
Refaisant sans arrêt le lit de la violence,
Le pauvre talion n’offre aucune alternative.
Mais ayant avalé des siècles de couleuvres,
L'âme de l'homme aspire à retrouver enfin
Sa forme originelle; en remettant à l’œuvre
Son pouvoir féminin, il en marque la fin.
Le graal est une âme avertie de ce piège.
Puits de fécondité qui transmute en semence
Tout ce qui a vécu, meurt et se désagrège;
Ainsi pourrit la chair où la vie recommence.
Il recueille en son creux le sang de la blessure.
Il en contient le sens et essuie en amont
Le désir de vengeance et ses éclaboussures;
Son pouvoir amadoue les hommes et leurs démons.
Fécond comme une mère et pur comme une vierge
Il recèle en son ventre éternellement neuf
Le don de sublimer le plomb que l'or héberge,
En brisant la coquille à l'éclosion de l'œuf.
C'est dans le saint des saints de ce temple secret
Que la lumière perce et ensemence l'ombre.
Opère en ce creuset la conscience qui crée
Concevant ce qui naît dans ce qui meurt et sombre.
Payen, Gauvin, Léo et tous mes confidents
Ne cherchez plus ailleurs, la porte est au-dedans!
Comments